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  • : Les chroniques de Froissart (Patryck)
  • : Création poétique et littéraire; critique littéraire; philosophie; ésotérisme; politique; antisarkozisme; cultures du monde; francophonie; Maurice; Maroc; Mayotte; La Réunion; Hainaut et Wallonnie; jeux; humour; radio; anticonformisme
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Ce site a pour thèmes
- la mise en ligne de textes poétiques et littéraires
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Ouvrages personnels

- L'éloge de l'apocalypse (recueil de poèmes de 80 pages) publié en 2003
- L'éloge de l'opaque ellipse (recueil de poèmes et de textes en prose de 180 pages) publié en avril 2006
- Chroniques puantes, en cours d'écriture

Actualisation du site

Le site sera régulièrement mis à jour, abondé, enrichi. Il remplacera progressivement le site hébergé par populus, dont les modalités d'administration ne conviennent plus à ce que je souhaite faire.

Patryck Froissart

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:45

Auteur : Hugo Hamilton

Titre : Sang impur

Traduit de l’anglais par Katia Holmes

Genre : roman

Editeur : Phébus

ISBN : 2752900171

 

 

Comment un enfant voit-il notre monde ? Comment se situe-t-il dans cet univers de violence, de guerres, de haines racistes ? Qu’y comprend-il ?

Le regard de l’enfant, voilà le point de vue adopté par Hugo Hamilton dans ce roman prenant, dont le narrateur est Hamilton redevenu petit dans une société de grands.

Très autobiographique, le roman est dit par la voix narratrice d’un enfant d’une famille « mixte » : mère allemande, père irlandais.

Le couple s’installe en Irlande, après la deuxième guerre mondiale. Les enfants naissent Irlandais, mais portent des Ledrehosen venus tout droit d’Allemagne, et des chandails d’Aran tricotés à la main. La mère, Irmgard, nostalgique du pays qu’elle a quittée, porte sur elle, bien qu’elle vienne d’un milieu anti-nazi, toute la faute de l’Allemagne hitlérienne, et ses enfants sont traités constamment de boches nazis par leurs condisciples, alors que certains milieux irlandais, dans leur haine de l’Angleterre, la félicitent d’avoir « donné la raclée » à l’ennemi séculaire.

Le père fonctionne sur des règles strictes, qu’il crée, et qu’il impose à tous. En premier lieu, chacun est tenu d’adhérer à son nationalisme irlandais si extrémiste qu’il en est ridicule et suspect, y compris aux yeux de la plupart de ses compatriotes. Il faut dire qu’il a un grand-père qui a combattu dans la marine anglaise, et qu’il se sent tenu de réparer cette trahison familiale en se faisant plus nationaliste que quiconque.

Les enfants sont obligés de parler l’irlandais, et ils sont les seuls à le faire dans le village, dont les habitants sont devenus anglophones depuis belle lurette. Tout mot anglais prononcé en présence du père est sanctionné d’une bastonnade.

La cruauté quotidienne des rapports entre les gens du quartier, l’esprit borné d’un père pitoyable qui rate, par ailleurs, l’une après l’autre les entreprises farfelues qu’il met en œuvre pour tenter d’améliorer la situation familiale, les souvenirs entrevus, bribe par bribe, de la jeunesse de ces parents singuliers, en particulier l’esclavage sexuel auquel la mère a été soumise dans sa jeunesse par un patron ayant des relations dans le parti national-socialiste, ou l’aveu par le père de sa vocation contrariée à la prêtrise, les tiraillements entre les deux langues et cultures des parents, sont autant d’éléments qui s’offrent à intense et lucide interprétation du monde des adultes, apparaissant comme pas très beau, par le jeune narrateur.

Un humour frais, teinté de l’innocence de l’enfance, baigne le tout.

Le lecteur sort du roman peut-être un peu plus pessimiste, s’il conservait encore quelque illusion quant à « l’humanité de l’homme ».

Je préconise un remède, pour retrouver la volonté de se battre pour espérer un jour changer les choses : se (re)plonger immédiatement  dans le magnifique livre d’Amine Maalouf : Les identités meurtrières

Patryck Froissart, le 28 février 2006

 

 

 

  

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:43

Titre : Mister Candy

 

Auteur : Bapsi Sidhwa

 

Titre original : Ice Candy Man

 

Traduit de l’anglais par Nadine Gassie

 

Editeur : Actes Sud (1997)

 

ISBN : 2742713433

 

 

L’auteure raconte avec une étonnante fraîcheur la partie de son enfance qui s’est déroulée à Lahore dans la maison de sa famille parsie, où les domestiques de toutes communautés vivent en bonne entente, juste avant, pendant et juste après la période sombre et tumultueuse qui a abouti à la partition de l’Inde et à la création du Pakistan.

 

Les premiers souvenirs de la petite Lenny, touchée par la poliomyélite, sont ponctués de scènes d’interventions chirurgicales ayant pour but de corriger les séquelles de la maladie sur ses pieds et jambes.

 

L’enfant, pourtant, surmonte sa souffrance en observant, avec une acuité sans défaut et une naïveté pleine de bon sens les êtres qu’elle côtoie et les événements qui se déroulent devant elle.

 

Le centre du monde, pour elle, est son ayah, la nurse hindoue, à la peau sombre et au corps voluptueux qui attirent autour d’elle des prétendants de toutes les communautés, et en particulier Mister Candy, le marchand de glaces, descendant des bâtards royaux peuplant Hira Mandy, le quartier des poètes, des danseuses prostituées et des musiciens.

 

Avec la belle ayah et son aréopage d’admirateurs, avec Ranna, le camarade de jeu musulman d’un village paysan, avec Cousin, son cousin déluré et obsédé par sa sexualité, avec Marraine et sa sœur Souffre-Douleur, Lenny découvre les noirs aspects du monde, la férocité des hommes, leur rage identitaire, leur barbarie tribale, leurs ivresses claniques, leurs bas instincts ataviques..

 

Lenny apprend la vie, Lenny apprend la mort.

 

« Cette nuit-là, j’emporte avec moi dans mon lit tous les mots entendus, les leçons apprises, les choses vues, et, au matin, je titube, prise de vertige devant un monde d’adultes, terrible bien qu’à peine entr’aperçu… »

 

Le quartier, les voisins, les amis, la famille proche sont entraînés dans la tempête macabre qui déferle sur le Pendjab et tronçonne aveuglément, dans ses tornades sanglantes, ses brutales crues de haine, ses folies collectives et animales le pays, ses villes, ses campagnes où vivaient jusqu’alors, séculairement, en bonne entente, musulmans, hindous et sikhs.

 

En sont victimes plusieurs amoureux de l’ayah, puis l’ayah elle-même que le fourbe Mister Candy livre aux musulmans déchaînés pour mieux se l’approprier après qu’elle aura été, pendant plusieurs mois, enfermée dans le bordel où, comme le font les autres clans, les musulmans se défoulent de leur haine sur les femmes prises à l’adversaire.

 

En est victime le jeune Ranna, dont le village et la famille sont atrocement décimés par une horde de Sikhs.

 

Sous le regard à la fois candide et cru de Lenny, les scènes d’horreur se succèdent, et tout un pays se défait avec la complicité de l’occupant anglais, dans l’indifférence d’un monde occidental encore sous la stupeur de la découverte de ses propres tares racistes et guerrières : nous sommes en 1947 quand a lieu la partition, l’Europe est en ruines et les crématoires nazis fument encore…

 

Il faut lire ce roman d’une enfant, dont l’œil désabusé allume des éclats cinglants d’ironie et d’humour noir sur des pages autant douloureuses pour le lecteur que pour les personnages. Les événements les plus puants, les actes les plus poignants, les comportements les plus odieux n’y sont jamais rapportés sans le petit trait d’humour frais qui permet de les « faire passer » sans toutefois en altérer le moindrement la laideur.

 

Il faut rire, pour ne pas pleurer.

 

Patryck Froissart, le 31 mars 2006

 

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:42

Titre : Les civilisés

Auteur : Claude Farrère

Editeur : Kailash 1997 – Paris

 

ISBN : 2909052168

 

 

 

Les écrits, comme leurs auteurs, subissent, on le sait, les attaques du temps.

Certains y résistent, prennent même de l’éclat avec les années, se polissent au cours des siècles (ils deviennent alors des classiques).

D’autres flétrissent, se fanent, se démodent.

Ce roman de Claude Farrère, couronné du prix Goncourt en 1905, est de ces derniers.

Le héros est bien sûr un jeune officier de marine. L’histoire se passe évidemment dans le Saïgon de la France coloniale du début du 20e siècle. Le ton général y est bien entendu moraliste, avec des petites touches d’incorrection, et juste ce qu’il faut d’aventure, de tragique, d’exotique  et de sensualité pour tenir le lecteur jusqu’au bout.

Fierce, Torral, Mévil et Rochet sont compagnons de beuverie et de débauche. Fumeries d’opium, bars, prostituées à peine pubères, fillettes domestiques, congaïs, bonnes à tout faire ce que leur maître veut, jeunes garçons : tout l’éventail des plaisirs coloniaux est complaisamment passé en revue, faisant des premiers chapitres de ce prix Goncourt un passable début de roman de gare.

Et puis Fierce, le jeune et bel officier de marine, s’éprend d’une oie blanche, Sélysette (sic !), orpheline de père, comme il se doit, qui vit seule avec sa mère aveugle (inévitablement). Le jeune homme délaisse ses complices, rompt avec ses maîtresses, se refait une virginité, et se transforme en soupirant patient et rougissant.

Mais le mal est là qui rode, à l’affût des failles de la nature humaine, et, lors d’une de ces campagnes de représailles qu’effectuait périodiquement l’armée coloniale pour réprimer le moindre sursaut de possible soulèvement, s’offre à Fierce, dans le village dont il vient de massacrer une partie des habitants, une fillette annamite terrorisée, « presque une enfant, presque nue » dont « on voyait les seins et le sexe » : le guerrier qui habite en tout homme ne peut résister, et c’est une première rechute (excusable encore celle-ci compte tenu des circonstances, semble dire le narrateur), qui en entraînera d’autres, jusqu’à ce que, comme on s’y attendait, Sélysette soit témoin, par un bien malencontreux hasard, une fraction de minute, d’une des scènes de stupre dont le bel officier est redevenu acteur…

Devinez la fin, ou achetez le livre, si vous aimez les précurseurs de Guy des Cars…

La question coloniale est ici traitée de manière équivoque. A certains moments le narrateur caricature le vilain colon, à d’autres il le valorise, sans remettre en cause l’expansion, la conquête, l’asservissement…

Prix Goncourt, quand même, heu…

 

Patryck Froissart, le 23 mai 2006

 

 

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:41

Auteur : Tahar Ben Jelloun

Titre : L’enfant de sable

Genre : roman

Editeur : Seuil (Paris, 1985)

 

 

Tahar Ben Jelloun est un sorcier, un forgeron, un griot détenteur du pouvoir de ces charmeurs de serpents, ou d’auditeurs, qui faisaient autrefois la magie de la place Jamaa El Fna, et qui apparaissaient régulièrement, fidèlement, à un endroit fixé de tous les souks villageois.

Le lecteur est transporté dès les premières pages sur le tapis persan, oriental, marocain.

L’histoire d’Ahmed, que son père a appelé de ce nom d’homme par honte d’avoir eu avant lui sept filles, est le récit d’abord intime, déchirant, lourd, d’une secrète histoire de famille. Seuls les parents, l’accoucheuse, puis l’intéressé(e), savent qu’Ahmed est la huitième fille.

Le roman n’est pas linéaire, reste inachevé, comporte des zones d’ombre, est à plusieurs voix, à plusieurs narrateurs qui se contredisent, ou se complètent, peut-être (au lecteur de choisir, d’imaginer, de remplir les vides), à la manière, justement, de ces récits interminables qui courent de place en place, de conteur en conteur, enjolivés, exagérés, personnalisés par les fantasmes de chaque diseur, comme les Mille et Une Nuits dont chaque conte aurait été composé par une personnalité différente.

Le Je des narrateurs, prétendus témoins, ou héritiers du cahier journal d’Ahmed, se mêle à celui du personnage, les versions s’entrecroisent, s’entremêlent, dans un jeu savant, labyrinthique, de miroirs, de routes, de lieux géographiques ou littéraires, où le narrateur auteur finit par se perdre lui-même, volontairement, avec délectation, jusqu’à s’identifier à au moins un autre grand auteur, qu’on reconnaît comme étant Jorge Luis Borges, dont le zahir apparaît brusquement dans les fils d’une histoire de plus en plus embrouillée, qui se dilue dans les sables du désert, c’est-à-dire l’intertexte.

On comprend que Le Clézio, lui-même conteur des sables et des déserts, ait aimé ce roman qui n’a pas de fin, et qui a toutes les fins : « Tahar Ben Jelloun sait nous retenir au bord du sommeil par quelque rebondissement possible qu’il fera attendre jusqu’au matin, surtout qu’au bout il y a le Secret, une Toison d’Or, qui est la récompense du lecteur et le cadeau du scribe… ».

A chacun d’y découvrir son propre secret.

Patryck Froissart, le 3 mars 2006

 

 

  

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:40

Titre : Le Pont sur la Drina

Auteur : Ivo Andric

Traduit su serbo-croate par Pascale Delpech

Editeur :Belfond

Livre de Poche 1994

 

 

Connaissez-vous Ivo Andric, prix Nobel de littérature 1961 ? Avez-vous lu Le Pont sur la Drina ? Si on m’avait posé ces deux questions deux jours avant la rédaction de cette analyse, j’aurais répondu négativement, sans aucune honte. Aujourd’hui je dis « oui », avec la satisfaction de celui qui a senti poindre en soi quelque lumière nouvelle, car je viens de terminer ce magnifique roman, dont la lecture m’a éclairé.

Le pont, construit sur la Drina par un vizir de l’empire ottoman (né petit paysan dans un hameau de la petite ville de Visegrad, enlevé à 10 ans par les Turcs et emmené à Istamboul, puis converti de force à l’islam), constitue à la fois une frontière et un lien entre la Bosnie et la Serbie, et entre un occident chrétien et un orient musulman dont les marges fluctuantes placent Visegrad, au hasard des guerres, tantôt dans un « camp », tantôt dans l’autre. 

De son édification, vers le milieu du 16e siècle, jusqu’à sa destruction, lors de la 1ère guerre mondiale, le pont est, dans le roman, le lieu central, la scène, voire l’arène où tout se joue. On y joue, on y boit, on y fume, on y devient amoureux, on y meurt, on y tue, on y torture, on y exécute, on y massacre. Toute l’Histoire, de 400 ans, du village, de la région, puis du monde, se vit en condensé sur la kapia.

Les chrétiens et les musulmans (populations locales islamisées) vivent ensemble à Visegrad depuis toujours, se respectent, se méfient les uns des autres ou se haïssent et s’entretuent selon la tournure de l’Histoire, pris dans un jeu dramatique qu’ils ne maîtrisent pas, et dans lequel interviennent Turcs, Juifs séfarades puis Juifs ashkénazes, Tsiganes, Autrichiens…

Les maîtres de leurs pauvres destins apportent leur ordre et orientent leurs violences, et, rarement, quelques courtes périodes de paix et de stabilité.

Le lecteur suit la lente évolution des mentalités dans la succession des générations, où se font et se défont les coutumes, où se forgent, grandissent puis se dissolvent les souvenirs collectifs, les destins individuels, les humiliations, les peurs ou les fiertés et orgueils communautaires.

C’est un fourmillement de personnages, de types narratifs, de caractères, truculents, ou cruels, ou truands, ou faux, ou sages, évoluant dans une atmosphère souvent pesante, dans une dynamique pessimiste de l’histoire humaine.

Le pont, au milieu des tourbillons, reste impassible, et semble, aux yeux des habitants, être garant de la pérennité d’une destinée malgré tout commune, mais les dernières certitudes collectives s’effondrent lorsqu’il s’écroule sous les bombardements, au cours de cette guerre de 14-18 qui marque la fin de l’ancien monde : « quelque chose était détraqué dans cette ère nouvelle. » Le pont est détruit, et tout devient incompréhensible : « Qui donc saurait décrire et faire sentir ces frissons collectifs qui secouèrent soudain les masses… ? »

 

 

L’eau ne coulera pas toujours sous des ponts.

 

« Il y avait toujours eu et il y aurait toujours des nuits étoilées. »

 

 

Ivo Andric fait partie des sublimes.

 

Patryck Froissart, le 26 mars 2006

 

 

 

 

 

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:39

Titre : La réclusion solitaire

 

Auteur : Tahar Ben Jelloun

 

Editeur : Denoël (1976 – Paris)

 

 

 

Ce petit roman est un long cri de souffrance, un délire poétique d’une douloureuse intensité, d’une trouble profondeur, où se diluent les événements, où se dissolvent les repères narratifs.

 

Le narrateur, qui s’exprime à la première personne, est un immigré marocain dans la France des années soixante-dix. Ces premières charretées de travailleurs venus tout droit de zones rurales misérables du Maroc où ils étaient recrutés par camions entiers vécurent solitaires, dans la chambre triste d’un hôtel minable ou d’un foyer d’immigrés, envoyant un maximum de mandats à la famille restée au pays.

 

Le lecteur peut entrevoir des bribes d’histoire, deviner des amours, imaginer un crime, se faire, en quelque sorte, son cinéma.

Le récit est cassé, comme est brisé l’homme qui parle.

La chambre est la malle où se recroqueville, étant lui-même son seul bagage, pour ses voyages intérieurs.

Dans la malle est l’image, l’image du poète, l’amour du poète, sa compagne la plus exigeante et la plus soumise. L’homme est dans la malle avec l’image, il voyage dans la malle immobile, mais il la porte en lui, dans la violence de sa vie quotidienne, dans ses rêves nostalgiques, dans ses rencontres furtives, ses histoires brèves, à peine ébauchées, ses liaisons vagues, comme celle qu’il vit sur quelques pages avec Gazelle, la Libanaise déchirée par la guerre.

 

Le texte coule à gros bouillons, comme l’eau de l’orage dans l’oued, heurté, dense, précipité, charriant des pierres coupantes, grondantes, violentes.

 

Tahar Ben Jelloun raconte de l’intérieur une réalité qu’ont vécue, sans se plaindre, ces déracinés, qui ont construit la France, qui ne les en a jamais remerciés, et qui n’auront eu comme salutations distinguées que les éructations lepénistes…

C’est cela, l’Histoire. Merci, Monsieur Ben Jelloun.

 

Patryck Froissart, le 12 février 2006 

 

 

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18 juin 2006 7 18 /06 /juin /2006 19:33

Eve de ses décombres

 

 

Auteur: Ananda Devi

 

 

NRF-Gallimard

 

 

Dans ce roman à quatre voix, quatre jeunes, Clélio, Eve, Sad, Savita, de l'écart de Troumaron, un quartier « défavorisé » pas aussi imaginaire qu’on pourrait le penser, racontent in vivo leur quartier, une "banlieue", une "zone" de Port-Louis, très loin et tout près des plages de sable fin, des lagons et des plus beaux hôtels du monde. C'est fort, c'est cru, c'est vif, à vif, et ça sonne, hélas, très vrai, pour qui connaît toutes les facettes de ces îles des Mascareignes, paradis sur cartes postales et dans les hôtels des plus luxueux au monde, fermés hermétiquement sur les réalités du pays.

 

 

A la lecture poignante de ce livre, écrit par une immigrée (Ananda Devi est née à Maurice et vit en France), on ne peut s'empêcher de faire un parallèle saisissant entre ces adolescents d'un quartier de transit de Maurice et ceux qui, lors des événements récents qui ont allumé les banlieues françaises, ont exprimé à leur façon tout ce qu'ils ressentent d'injustice à comparer leur situation avec celle de certains de leurs compatriotes, dont les automobiles rutilantes n’ont pas, elles, été incendiées, bien à l’abri dans leurs garages.

 

 

L’amitié, l’amour, la poésie sont présents, mais n’empêchent pas la violence aveugle de frapper, de violer, de tuer.
Les quatre jeunes personnages sont émouvants, et dégagent une aura de pureté au milieu des hideurs des lieux. Les adultes, et en particulier ceux qui représentent l'autorité, et ceux qui ont le devoir d'éduquer, sont sales, comme l'est le professeur qui viole Eve, tous les soirs après les cours, sur les paillasses de la salle de sciences, et dispose d'elle comme d'une souris de laboratoire à disséquer, avec une froide cruauté mêlée, de façon trouble, à un sentiment de culpabilité qui ne fait qu'exacerber son désir d'humilier, d'abîmer, et de détruire... 

 

 

A lire en urgence, pour se modifier le regard à porter sur une jeunesse de plus en plus démoralisée (au sens étymologique, soit de plus en plus amoralisée) par l'exclusion sociale et la ghettoïsation.

 

 

Patryck Froissart, le 3 janvier 2006

 

 

 

 

 

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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 11:50

L'éloge de l'apocalypse
Auteur : Patryck Froissart
Recueil de poèmes  
90 pages
Maurice, novembre 2003
 


Recueil, publié en 2003 à Maurice, de poèmes militants, dans lesquels
Patryck Froissart peint la hideur de l'homme et exprime son souhait de
la venue d'un monde meilleur. Voici ce qu'en écrivit Vel Putchay pour
l'Express (extraits remaniés):
A travers une poésie éclatante, le poète exprime les maux d’un monde
qu’il faut refaire. Avec regret, il attend la défaite finale. Avec
espoir, il chante la réalisation d’une prophétie.
Et si l’apocalypse était notre seul espoir ! Si la fin du monde était
notre seule et unique délivrance ! Pourquoi alors “porter plus loin ce
pénible panier” ?
L'éloge de l'apocalypse est un petit recueil de “poèmes tout noirs”, à
l’image de la couverture qui en broie, mais qui nous invite à souhaiter
avec lucidité et poésie la fin des temps et le début d’un toutnouveau monde, car le titre est à double sens.
A coup sûr, la Bête sera vaincue par l’Agneau. Alors, “en quoi le jour
dernier peut-il terrifier” ?
L'auteur exploite, on l’aura compris, un thème unique et obsédant: l’aspect noir
du monde, qui fait de lui un poète dont la vision oscille entre le désespoir et
l’attente. D’une part, “nul tain ne me convainc/ Que je vis désespéré”,
écrit-il, et d’autre part, “quel est ce triste hère/qui erre par la
terre ?”, s’interroge-t-il.
Pour comprendre l’origine de ce sentiment ambivalent qui anime la
poésie de ce poète, désabusé semble-t-il, il faut revoir son rapport
avec la société, énorme buisson dans lequel est enfouie “la folie du
moderne Néron”, car “dans ce bois sont tapis de modernes vampires.”
Mais des temps modernes, “le loup n’est plus au bois : il hurle à ma
lucarne”.
Il n’en faut pas plus pour deviner que si faute il y a, elle ne peut
être que du côté de l’homme, “l’être inane”. Nul doute, “l’homme est
toujours l’énorme erreur”, écrit-il. Osez les voir, ces êtres sans
scrupules : “ils tuent, obtus, ils tuent, mus par des faux docteurs.”
Pendant que “le vicaire baveux déprave le candide”, et que “le prêtre
au presbytère éprouve l’innocent”, “là-bas l’infâme éventre une femme
et la pend”, “le nazi s’égosille et fait donner la claque”, “le
banquier dévalise et l’usurier cupide”. Partout, tout est souillé, tout
est vain. Et le poète, impuissant, se contente de s’exclamer : “dans
les champs, dans les rues, que de sang, que de haine !”
Pourtant l’homme aura été prévenu : “tes frères voleras, violeras et
tueras !” Mais rien n’a pu faire que toutes ces choses-là n’ont eu
lieu. Voilà qui confirme l’axiome que “l’homme est un loup pour
l’homme”. Voilà pourquoi la misère s’est installée sur les trottoirs,
pourquoi les enfants se vendent “à la sauvette” à ceux qui oseraient
les prendre. Et voilà pourquoi “l’humanité purule et le chancre est
vainqueur.” Et au poète de conclure que, malgré le ciel chaleureux, le
doux frôler de la brise, le tableau de la plage qui dort et du lagon
qui s’étale, pour “l’indolent mascarin” qu’il est, “l’heure est
insolite en ce siècle morose.”
Voilà encore qui explique pourquoi sa poésie prend l’aspect de cette
éternelle interrogation : “où se terre ce dieu qui régna sur les cieux
?”. Mais tout est déjà vanité. La poésie même et son interrogation sont
un cri dans le désert. Et l’absurde gagne “ces vers (qui) font litière
à (son) proche sommier” et tout le “poème est un venteux verbiage” qui,
du coup, “se décompose/ Fatalement en pauvre prose/ Tous mes vers sont
dans mon génome”. Face à ce “peuple imparfait pour la cosmique
alliance”, il ne lui reste alors qu’une seule alternative : la fuite.
“Si vous m’aviez offert, ma mère, avec le jour,/ le choix de repartir
pour l’utérine nuit/ je m’y fusse enfui sans deuil et sans ennui/ pour
le rare plaisir de l’immédiat rebours”.
Déjà, en ce moment même, s’il n’avait pas appris nos débiles outrances,
il serait en train de mailler “des vers en effeuillant des roses”. Car
chez lui, “la phrase est (son) transport,/ Le verbe (sa) patrie, le
penser lent (son) sport”. Mais, puisqhomme ne vaut vesse de
veau”, c’est “à des êtres pensifs, paisibles, soucieux” qu’il se
propose de réserver sa science. Certes, le poète aspire à la
tranquillité, “au calme lent des déserts impubères”. Ce n’est pas
l’envie de s’enfuir dans “un trou de campagne” et de faire “bombance
aux fruits de l’insouciance” qui lui manque. Mais “se départir ? Sous
quels soleils ? Tout est pareil !”, “où changer d’air ? Où s’égailler ?
Tout est souillé !”, “Où s’évader ? Dans quelle idée ? Tout est bordé
!” Alors, il lui faut agir. Car, “j’aimerais entrevoir quelque rond de
douceur, quelque orbe de blancheur, quelque aura de candeur.”
Mais, hélas ! Combien amère est la constatation de son impuissance,
comme il l’exprime dans ces vers : “je joins mon murmure aux voix
humbles qui veulent étouffer d’un chant doux le cri fou des bourreaux
[…] ma parole est timide et ma personne est veule.” Il n’y a pas
d’issue. Ni dans l’engagement ni dans la fuite. Alors, “pourquoi
s’inventer un destin” ? Il ne lui reste plus que la possibilité de
nourrir en secret un dernier souhait : attendre passivement jusqu’au
jour où “il me viendra l’envie définitive et sage/ de m’enrober au
sable émouvant d’une plage […] L’idée me plaît qu’un jour à déjeuner je
serve/ A la vermine à qui je fais don sans réserve/ De mon vain
cytoplasme…” Pour se venger de la matière porteuse de tous les maux, le
poète a choisi alors de lui donner un destin : “Je dédierai ma viande à
l’obscure annélide.” Aussi reconnaît-il la source propre de ses maux :
“J’ai cherché dans la glèbe un sens à l’existence.” On comprend
pourquoi l’apocalypse devient désirable !

Analyse de Vel Putchay, pour l'Express

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3 avril 2006 1 03 /04 /avril /2006 17:47

Titre : Le règne de barbarie

Auteur : Abdellatif Laâbi

Editeur : Seuil

Collection : Fiction et Cie

Préface de Ghislain Ripault

 

Ce recueil de poèmes est un long cri de souffrance et de révolte.

Publié en 1972 alors que son auteur, le poète marocain Abdellatif Laâbi, fondateur de la revue Souffles, dépérissait et pourrissait au secret des cellules de la prison de Kenitra, livré au bon vouloir sadique des tortionnaires de Hassan II, en pleines années de plomb, Le règne de barbarie se lit avec les tripes, avec les poings serrés, avec des saccades de sanglots, durs comme du fer, qui montent, ligne après ligne, vous exploser à la gueule. 

Ce recueil de colères est un long hurlement de loup blessé, aux chairs prises dans les crocs de l’arbitraire du traqueur de liberté.

Préfacé par Ghislain Ripault, autre poète, qui en 1972 était coopérant français au Maroc, Le règne de barbarie ne se lit pas, mais se vit, se chevauche, se galope comme la noire monture de l’apocalypse, annonciatrice de la fin des temps des sombres seigneurs et de l’époque des vengeances éclatantes et justes des peuples : « Il est temps de dire pourquoi je dégueule ce monde. »  

Ce recueil de crachats est un long chapelet d’insultes aux visages du potentat et de ses valets de chiourme, dérisoirement armés de leurs pinces d’inquisition.

Car Abdellatif Laâbi possède le vrai pouvoir, celui face auquel la puissance souveraine devient factice, ridicule, inefficiente : Abdellatif Laâbi est détenteur de la puissance infinie du Verbe, qui traverse les murailles des geôles les plus épaisses et s’en vient gronder à celles des palais, et puis qui enfle et gonfle, jusqu’à les renverser.

« La poésie est tout ce qui reste à l’homme pour proclamer sa dignité, ne pas sombrer dans le nombre, pour que son souffle reste à jamais imprimé et attesté dans le cri. »  

« Ma plume est meurtrière » dit encore le poète, qui ne craint pas les bourreaux :

« A nous deux geôliers de l’espoir  

tenez  

je vous jette mon stylo  

si vous croyez qu’il est seul l’instrument de ma colère  

brisez-le  

je deviendrai orateur… »

 

 Tant qu’il y aura des poètes…

 

Patryck Froissart, le 2 avril 2006

 

 

 

 

 

 

 

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